Objets en décalage

, par Mélie Jouassin

PROJET « OBJETS DU QUOTIDIEN EN DÉCALAGE(S) »

affiche réalisée par Josselin Courant

Le projet a réuni trois groupes encadrés par trois professeur.es : le groupe pivot de 24 élèves de seconde générale de l’option « histoire des arts » encadré.es par Virginie Vadelorge, professeure d’histoire des arts et de lettres, les 18 élèves d’UPE2A encadré.es par Véronique Dumas, professeure de lettres, et les 12 élèves de seconde UFA MELEC et leur enseignant Josselin Courant, professeur d’arts appliqués.

L’idée de ce projet était d’amener les élèves à s’interroger sur les rapports que nous entretenons avec des objets de valeurs multiples qui prolifèrent dans notre quotidien.
Nous oublions parfois que les objets du quotidien sont notre création, le résultat d’une réflexion qui a pu mener du prototype à la série, de choix de formes, de modes d’usinage.
La majorité des objets qui nous entourent ont une fonction précise, celle de faciliter la vie quotidienne, mais les objets peuvent aussi être détournés de leur destination initiale, matérielle et utilitaire, par tout un chacun comme par les artistes, pour prendre une dimension ludique ou esthétique.
En partenariat avec le MAD Paris et le Musée du Louvre, les élèves de lycée professionnel (seconde UFA MELEC), les élèves allophones (UPE2A) et les élèves de l’option « histoire des arts » en seconde ont réfléchi, par la pratique de techniques de décalage, et par la rencontre avec des œuvres d’art, à la signification des objets, et à leur donner une nouvelle signification. Technique photographique et photomontage ont permis de jouer avec les usages et les fonctions, le trompe l’œil, les jeux d’échelle en s’inspirant de plusieurs créateurs (Giudicelli, Lalanne, Schiaparelli).

Les élèves ont pu bénéficier de visites de l’exposition « Les Choses » au Musée du Louvre et du département consacré au Design au MAD ainsi que d’un ou plusieurs ateliers avec une artiste intervenante, la photographe Lucy Winckelmann.

Le travail préalable en classe

Le point de départ en classe est une réflexion sur les objets : recherche personnelle d’une définition, lien avec des domaines de la société (artisanat, industrie, technologies, modes de consommation et de collection, valeurs affectées aux objets).
En histoire des arts, le travail sur certains foyers chrono-géographiques permet de s’interroger sur la valeur des objets, durant la Préhistoire, en Égypte ancienne, dans la Grèce classique et dans les arts de l’Islam à al-Andalus – la pyxide al-Mughira du Louvre a été particulièrement analysée.
En UPE2A, les élèves étudient la Nature morte à l’échiquier.

Les visites

L’exposition « Les choses » au Louvre
La réflexion sur la relation des artistes aux choses, et sur notre relation aux biens matériels se nourrit, s’enrichit, voire est déplacée, par la visite de l’exposition "Les Choses", au Musée du Louvre, retraçant une histoire de la représentation des choses, de la Préhistoire à nos jours, notamment via le genre de la nature morte, les "outils préhistoriques", le ready-made de Marcel Duchamp.
L’utilisation d’un carnet de visites montre que beaucoup d’œuvres ont plu. L’intérêt manifesté lors de la visite pour les œuvres contemporaines se retrouve dans le choix par plusieurs élèves du poulet de Ron Mueck et du portrait-robot d’Arman. Les élèves choisissent le vase de Tongo, l’asperge de Manet, le tableau d’Anne Valloyer-Coster. Le tableau de coquillages de Coorte est particulièrement apprécié.
Les élèves sont invité.es à imaginer quelles choses faire figurer dans leur propre autoportrait.
Enfin, il leur est demandé de choisir une œuvre de l’exposition : Imaginez que l’un des objets s’anime et soit capable de parler. Écrivez ce qu’il dirait : par exemple il chercherait à dialoguer avec les personnes visitant l’exposition, ou avec l’artiste qui l’a représenté (pour le/la remercier pour son travail ou au contraire le/la critiquer), ou il ferait son autobiographie, comme s’il avait été un personnage ou un témoin muet de son temps à qui l’on rendait la parole (par exemple : « je m’appelle... et je viens de …, la personne qui m’a créée … »). Indiquez au cours de votre texte le lieu de création, l’usage, la manière dont l’objet a pris un sens nouveau, etc.

Les collections du MAD Paris
Les élèves découvrent les collections du MAD (objets, mode, bijoux, publicité) et le nouvel accrochage des œuvres acquises dans le département contemporain du MAD, grâce au Cercle Design 20/21. Ces œuvres majeures sont présentées en regard des collections permanentes dans un parcours renouvelé avec des thématiques plus ancrées dans notre époque telles que la conscience environnementale, l’éco-conception et le lien aux matériaux naturels. Ce parcours permet de prendre conscience de l’évolution du design des objets du quotidien et de leur diversité.
Les pièces particulièrement appréciées :

  • le Rhinocrétaire et les Toilettes Mouche de Lalanne
  • la surprenante horloge Grandfather Clock de Maarten Baas
  • les lunettes–yeux et le chapeau-chaussure de Schiaparelli
  • The Dietal Chair de Gavin Munro et Alice Munro

    Les élèves sont invité(e)s à dessiner le siège de leur choix dans la bibliothèque des sièges, et à choisir un siège en proposant pour celui-ci un nouveau nom, détournement poétique ou ludique de l’objet. Ainsi le Fauteuil Bulle devient sous leur regard une « Boule de repos » et le Poltronne di Proust la « Fusion du pointillisme et de l’utile ».

L’exposition « Shocking ! Schiaparelli » pour les 2de HDA
Les élèves de l’option « histoire des arts » découvrent également les réalisations d’Elsa Schiaparelli inspirées du surréalisme et de son lien avec Dali et sont invité(e)s à dessiner des bijoux créés par Elsa Schiaparelli.

Les ateliers

Design et objets : découpage / collage : transformer l’usage d’un objet en lui attribuant une autre fonction que celle initiale.
Collage surréaliste inspiré par le travail d’Elsa Schiaparelli et des objets exposés au MAD Paris. Un nouveau visuel est créé à partir de reproductions de deux ou trois objets du MAD. Les élèves lui donnent un nom.
Les créations sont rassemblées dans le catalogue final.
« Bijoux en folie »
Design & bijoux - Au musée, pour les élèves de seconde HDA : « « Jeux d’échelle » - création d’un bijou « MAD miniature »
Les collages issus des images d’objets du MAD donnent lieu à la réalisation d’un bijou plein d’humour et de fantaisie. Plastique fou et attaches sont assemblés pour la création d’une broche.

« Création d’objets »
Au lycée, à partir d’une boîte en carton, les élèves de seconde HDA créent un écrin pour le bijou, avec du papier de couleur, des feutres, des photocopies de leur cyanotype, en faisant un lien avec le thème ou les couleurs du bijou. L’intérieur peut être travaillé comme l’extérieur.
Cyanotypes : « Ceci n’est pas un set de table »
Design & objets - Au lycée
Création d’un décor de serviette en trompe œil « set de table » avec la technique du cyanotype.
Les élèves découvrent le procédé de la chambre noire photographique (camera obscura, sténopé) : une boîte hermétiquement fermée à la lumière avec dans son couvercle, un trou par lequel les formes vont se réfléchir « en négatif » sur le fond de la boîte. Le cyanotype, dont Anna Atkins est la pionnière, est une autre technique qui permet la fixation de l’image afin de la conserver dans le temps. Les élèves utilisent une feuille préparée avec une solution photosensible et composent sur cette feuille des objets permettant de détourner un set de table, une fois la feuille et ses objets placés en plein soleil dans la cour du lycée. L’inspiration peut aussi venir du travail sur la composition réalisé par Man Ray dans ses « Rayogrammes ».

Création d’un catalogue
Design & publicité - Au lycée :
Ultime détournement, toutes les créations des élèves de seconde HDA sont rebrassées dans la création d’une double page de catalogue du type « Harper’s Bazaar ».
Cette revue née grâce au développement de l’illustration proposait des objets et vêtements dans une composition photographique audacieuse, inspirée des techniques modernistes, laissant une place réfléchie au blanc et au texte, afin de créer une relation entre texte et image, et travaillant sur la typographie sans serif (sans empattement).
Les élèves de l’option histoire des arts travaillent sur la composition d’une double page, en s’inspirant de la typographie reprenant des formes d’objets et de lettrines comme celles créées par Étienne Robial (Alphabet Louis, Alphabet Jules, Alphabet Miam), afin de créer une nouvelle image, en pensant à mettre en relation la forme et la fonction de l’objet. Les élèves peuvent utiliser du papier de couleur, des feutres, des crayons de couleur, des reproductions de leur collage surréaliste initial, de leur cyanotype, de leur bijou et de leur boîte, d’un nouvel objet.
Un titre et un texte descriptif (plus ou moins fantaisiste, surréaliste, sérieux ou factuel, expliquant son usage) sont proposés. Les élèves-designers ont carte blanche pour montrer quel est leur univers à travers leur objet-phare.

L’exposition

Arrivant en toute fin d’année dans un lycée subissant sa dernière phase de rénovation, elle est malheureusement écourtée et n’a pas d’espace spécifique pour se tenir ; les professeur.es documentalistes accueillent les élèves au CDI. Les élèves décident d’exposer le catalogue, leurs collages et, dans une vitrine, les bijoux près de leur boîte, mais aussi le processus de leur travail : sont ainsi montrés les cyanotypes et les premiers essais de double page de catalogue. Les élèves conçoivent les cartels.

Ce projet a donc permis aux lycéen(ne)s de partager une expérience sensible, en participant à une création en collaboration avec un plasticien / designer, et de développer des connaissances concernant les différentes valeurs prises par les objets du quotidien.
Par la rencontre avec des artistes - que ce soit avec l’artiste intervenante ou avec les artistes rencontré(e)s dans les œuvres présentées dans les deux musées partenaires -, et par des pratiques permettant de "décaler", de déplacer le regard que les élèves portent sur les objets qui les environnent, il s’est agi de retrouver la part de création propre à la conception de chaque objet. Ce projet a aussi permis de prendre conscience qu’un espace d’exposition était nécessaire au lycée.

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